MICHEL VAILLANT

BD : MICHEL VAILLANT

SAISON 2 : Au nom du fils

THEME :

Évidemment, l'intrigue tourne autour de la Vaillante et son retour au plus haut niveau de la compétition. Mais cette intrigue-là est reléguée au second plan pour creuser la facette familiale.

Parmi les thèmes, la question de la succession – celle d’Henri Vaillant – se pose de façon tout à fait naturelle, les auteurs insistant sur ses idées parfois un brin rétrogrades du bonhomme. Les allusions de Dasz lors de la signature du contrat sont d’ailleurs à peine voilées (planche 12). L’écologie s’invite ainsi (très timidement) dans la saga.

Évidemment, il est question des priorités d’une vie humaine. C’est là que le lecteur percevra un début de désaccord entre Michel et Françoise. De toute évidence, leur carrière et l’entreprise comptent encore beaucoup pour lui comme pour elle. Mais leur conception de l’éducation de leur enfant unique semble diverger. Françoise reste persuadée du bien-fondé de leur méthode (résumée un peu cyniquement, celle-ci consiste à envoyer l’adolescent encombrant dans une pension pour enfants de foyers très aisés afin de le préparer à reprendre l’entreprise), tandis que Michel doute et perçoit un besoin d’amour auquel il finit par céder.

Le lecteur pourra établira un parallèle entre le legs d'Henri Vaillant et celui de Jean Graton. Il pourra peut-être aussi aller jusqu’à s'interroger sur l'éventuelle part autobiographique de cet album : Jean Graton étant devenu un monument de la bande dessinée franco-belge, quelle place laissait-il à son fils dans sa vie ?

Enfin, Graton et Lapière évoquent aussi les déboires d’entreprises familiales en mal de financement pour se lancer dans des activités coûteuses. Vaillante, bien qu’encore prospère, doit désormais se tourner vers des financements étrangers pour rester pertinente, à ses risques et périls.

 MICHEL VAILLANT
MICHEL VAILLANT © GRATON EDS 2021

CRITIQUE :

Intitulé "Au nom du fils", cet album est le premier tome d'une série dérivée - ou une relance, plutôt - de "Michel Vaillant". Il est sorti en novembre 2012 chez Dupuis, via Graton Éditeur.

Philippe Graton et le Namurois Denis Lapière ont cosigné le scénario. Fils de Jean Graton (1923-2021), Philippe participait déjà à l'écriture des derniers tomes de la série principale. Lapière, lui, est un auteur chevronné, qui avait déjà travaillé sur "Michel Vaillant", mais aussi sur "Tif et Tondu" et "Les Tuniques bleues", entre beaucoup d'autres. Pour la partie graphique, Graton fils a recruté les dessinateurs français Marc Bourgne et Benjamin Benéteau. Dans une spécialisation du travail qui pourra rappeler "Ric Hochet", Bourgne ("Barbe-Rouge" ou encore "Alix origines") réalise les story-boards et les personnages, tandis que Benéteau ("Alter ego") est chargé des décors et des véhicules. La mise en couleurs a été composée par Christian Lerolle, et celle de la couverture par Sébastien Gérard.

"Michel Vaillant" ? C'est d'abord une série fleuve : soixante-dix albums, qui s'étalent sur un demi-siècle : le premier - "Le Grand Défi" - sort en 1959 (sa prépublication débute en 1957) et le dernier - "24 heures sous influence" - en 2007. Au début des années 2010, Philippe reprend "Michel Vaillant" avec la bénédiction de son père. Ainsi, "Nouvelle saison" - ou parfois "Saison deux" - réutilise-t-elle les grands ingrédients et personnages de la série, qu’elle dépoussière et relance.
Plutôt que de mettre la course automobile au centre de tout, Graton et Lapière imaginent une saga familiale d'ampleur. La famille est ainsi au centre de tout, peut-être même devant la facette sportive, ou au moins à égalité. Les scénaristes n'oublient pas que l'écurie Vaillante est une entreprise, avec toute ce que cela implique ; des orientations importantes sont ici décidées. En général, les auteurs français de bande dessinée se méfient du capitalisme à l'anglo-saxonne, et ceux-ci n'échappent pas à cette règle. Aussi le lecteur n'est-il point dupe : lorsque Vaillante signe un partenariat avec Ethan Dasz, un grand entrepreneur nord-américain (a priori), il entrevoit forcément des développements peu positifs pour l'entreprise française.
En général, les auteurs français de bande dessinée se méfient du capitalisme à l'anglo-saxonne, et ceux-ci n'échappent pas à cette règle. Aussi le lecteur n'est-il point dupe : lorsque Vaillante signe un partenariat avec Ethan Dasz, un grand entrepreneur nord-américain (a priori), il entrevoit forcément des développements peu positifs pour l'entreprise française.

PERSONNAGES :
ls sont l'une des réussites de cet album, bien que les auteurs forcent parfois un peu le trait. Mais le lecteur s’attache rapidement à eux.

Un patriarche - Henri - au crépuscule de sa carrière et peut-être de sa vie. Irascible, l'homme rejette viscéralement les changements qui s'annoncent ; parmi ceux-ci, la voiture électrique, au risque de faire de son entreprise une organisation dépassée. Les préoccupations causées par les nouvelles tendances en matière de mobilité semblent le contrarier vivement, en témoigne sa réaction à la suite des initiatives d'Élisabeth, sa femme. Enfin, même les innovations au sein de sa cuisine le dérangent (planche 6). Tout est fait (c’est peut-être trop en si peu de cases, d'ailleurs) pour indiquer au lecteur qu'Henri Vaillant, s'il reste un personnage de premier plan dans le monde de la course automobile, n'est plus vraiment de son temps.

Michel Vaillant a la quarantaine triomphante, mais en apparence seulement. Son retour à la compétition est remarquable, mais il a moins de pouvoir décisionnel que son frère au sein de l’entreprise. En outre, il ne voit pas son fils se détourner de la famille et se désintéresser des projets que sa femme Françoise et lui avaient imaginés pour leur rejeton. Enfin, il cède à son impulsivité et montre qu'il est capable de tout envoyer bouler sur un coup de tête ; comme une révélation brutale qui ne peut plus le retenir et l’enjoint à suivre ses sentiments. Michel oscille donc entre passion et devoir, et semble éprouver des difficultés à trouver le juste milieu entre le tête et le cœur, sans oublier que son couple même semble menacé…

Françoise est le personnage féminin le plus important dans une saga où il en a plus que dans d'autres monuments de la bande dessinée franco-belge. Il est évident qu'elle accorde beaucoup d'importance au succès de l'entreprise. Peut-être plus qu'elle n'a d'empathie pour son fils ?

Quant à l'aîné, Jean-Pierre, c'est un peu le roc, le successeur en puissance (sans s'imposer), celui qui gère les problèmes de l'entreprise au quotidien. C'est lui qui est amené à prendre toutes les décisions concernant l'avenir de l'écurie.

Il y a également ce nouveau partenaire en affaires, Ethan Dasz (un nouveau personnage), un homme intelligent et stratège, mais qui est encore un peu trop lisse pour être véritablement inquiétant. Cependant, le lecteur sent bien que Dasz incarne probablement le ver dans le fruit.

Enfin, le fils de Michel : Patrick. D'abord invisible, puis longtemps insaisissable. L’adolescent ne se dévoile que lorsque son père commet l'inimaginable pour le retrouver – aussi grâce à l'aide d'une camarade de classe. Selon toute vraisemblance, ce garçon à la tête bien faite a bien l’intention de suivre son propre chemin.

Les personnages secondaires sont nombreux et crédibles. Ils sont plus que fonctionnels ; Richard Trousseau, par exemple. Bien qu’ils interviennent de façon toujours un peu convenue, il y a là quelques personnages réels, dont Éric Nève (en planche 15) et Jean-Louis Dauger (en 18). Ce mécanisme permet aux auteurs d’accentuer le réalisme de la série et de l’ancrer dans cet univers qui la caractérise depuis plus d’un demi-siècle.

STYLE NARRATIF :
Le ton est très réaliste, si jamais il fallait encore le préciser. Cela n’empêche pas quelques traits d’humour qui feront sourire le lecteur. Les auteurs parviennent à créer une atmosphère de mystère réussie autour de l’absence de Patrick et de ses explications.

Plutôt que de multiplier les lignes narratives, Graton et Lapière n'en gardent qu'une principale, mais ils exploitent deux sous-intrigues (le retour à la compétition et la famille) et opèrent des allers-retours incessants entre elles. Entre cela et quelques rebondissements bien sentis, la linéarité n'a pas le temps de s'installer ; en tout cas, le lecteur ne la perçoit aucunement au long de ces cinquante et quelques pages. Les scénaristes utilisent parfois un autre fil conducteur (développé à partir des rencontres entre Jean-Pierre et), mais ce sont toujours des épisodes relativement courts. Le développement est bien linéaire, en tout cas ; aucune analepse.

À partir de cette réflexion, il est intéressant de noter que les références aux soixante-dix épisodes précédents sont absentes. Cela permet à un néophyte qui ne connaît que l’essentiel de s’immerger facilement dans l’histoire sans s’inquiéter de références lointaines.

La narration est intelligente. Par exemple, dans les planches 7-8, le lecteur se retrouve vraiment immergé dans une discussion parfaitement plausible entre experts du marché de la production d’automobiles de course. Le texte est efficace (le vocabulaire est bien choisi) et ne suscite aucun ennui, au contraire, puisqu'il établit de façon très crédible un contexte économique sérieux autour de l'entreprise familiale. Cette remarque s’applique aux aspects techniques (de mécanique) des dialogues également ; le lecteur n’est d’ailleurs jamais perdu, tout est compréhensible, même sans l’aide d’un glossaire spécialisé.

En revanche, il y a plusieurs passages où le texte est particulièrement fourni, sans être indigeste pour autant. Mais cela pourrait décourager ceux qui n’y sont pas habitués.

STYLE GRAPHIQUE :
Le registre de Bourgne et Benéteau est celui du réalisme, dans un style représentatif de l’école de Bruxelles : aucune exagération dans les physionomies ou les physiques, des postures naturelles, une densité élevée de détail (mais sans surcharge), peu (voire pas) d'ombres, un soin tout particulier apporté aux bâtiments (et aux circuits) et aux véhicules (ils sont parfaits – faut-il le préciser ?).

La toute première case est très intéressante. Une reproduction - à l'identique (mais sous une météo plus clémente) - d'une photographie du circuit de Monaco, à l'occasion d'un grand prix. Quelle stupéfiante reproduction, qui montre tout le talent du décoriste. La suivante impose le respect elle aussi : un zoom arrière à partir de l’écran de télévision, qui s'achève sur un salon meublé avec goût. Le lecteurs apprécieront cette belle représentation de la vitesse, par une combinaisons de lignes horizontales et d'onomatopées grandissantes. De même, ils s'exclameront devant le détail du salon des Vaillant (les tableaux, le tapis, la plante, les poutres apparentes, les rideaux).

Le travail de Bourgne n’est pas en reste. Des personnages immédiatement identifiables, une variété suffisante des physionomies, des expressions faciles travaillées et appropriées. Les fanas de comics pourront penser que Michel Vaillant a un physique qui doit beaucoup à Superman - le visage plus allongé et les yeux bruns (Superman les a bleus), mais la "gueule" est là : mâchoire affutée, cheveux noirs avec une mèche (en forme de "s" sur le front) et sourire irrésistible.

L’artiste utilise un encrage généralement léger, qu’il accentue à coups d’aplats de noir lorsqu’il estime que l’effet est nécessaire pour souligner la tension d’une scène. La mise en page est classique, sans fioriture (aucun insert n’est utilisé, par exemple, ce qui est même étonnant vu le dynamisme que peut apporter cette technique), avec une recherche d’équilibre entre horizontalité et verticalité et des cases qui occupent toute la largeur de la bande lors des séquences de course. À vue de nez, les planches doivent comprendre entre six et huit planches en moyenne. Si les compositions peuvent pécher çà et là par un aspect parfois un brin figé, les amateurs se réjouiront néanmoins de ce coup de crayon net, propre, précis et sans hésitation. C’est élégant, c’est soigné et c’est parfaitement lisible, point important pour les scènes de course.

CONCLUSION :
Graton, Lapière, Bourgne et Benéteau proposent avec « Au nom du fil » un premier album qui déroule une intrigue prometteuse, enrichie par une belle abondance de thèmes vraiment intéressants, entre saga familiale, compétition sportive et conflits d’intérêts économiques. Cette nouvelle saison ne présente aucune révolution (ça serait aussi inapproprié que suicidaire d’un point de vue commercial), mais une évolution vraiment bien pensée qui remet la franchise au goût du jour avec brio.
[Critique faite après lecture du premier tome.]

BLOG : BARBUZ

  • REDACTEUR
    - BARBUZ -
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  •   MOYENNE :
    4.00
    Note sur 5
  • Age de lecture : 14 ans et +
  •   Editeur :
      GRATON

    Genre :
    SPORT AUTOMOBILE
    AVENTURE
    Type :
    BANDE DESSINEE
    Album :
    48 pages environs
  • LIENS ASSOCIEES :

     
     
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  • GRATON
    CRITIQUE COMICS
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