TETE DE CHIEN

BD : TETE DE CHIEN

La chevalerie facon shonen

TETE DE CHIEN © DARGAUD 2023

RESUME BD :

Royaume de France, vers la fin du XIIe siècle. Josselin songe à sa vie de chevalier. L'entraînement quotidien, depuis l'âge de sept ans, quel que soit le temps. Les muscles des bras endoloris à force de brandir l'épée de bois et de lever le bouclier, ses partenaires (son père, ses frères et leur maître d'armes), les fesses usées sur la selle, le défi de la quintaine et les défaites. Et toujours des rêves plein la tête. "Chaque nuit", il s'imaginait "en pleine mêlée" affronter de redoutables adversaires dans des tournois prestigieux, compagnon de "puissants et nobles seigneurs", dont il était devenu "ami et allié". Aujourd'hui, son but n'est ni de collecter les rançons ni de s'enrichir : Josselin veut simplement prouver sa valeur, "devenir l'égal de Gauvain, d'Olivier et de Roland." Se battre aux côtés de Guillaume le Maréchal ou du jeune Richard, duc d'Aquitaine. Son père, ne le voyant pas du tout de cet œil, espérait bien de son fils qu'il entre dans les ordres monastiques, pour servir Dieu ; Josselin a toujours été "un fils respectueux et obéissant", jusque-là. Car il sera chevalier, peu importent les projets de son père...

 TETE DE CHIEN
TETE DE CHIEN © DARGAUD 2023

CRITIQUE BD :

Il est difficile de savoir précisément en quelle année se déroule cette histoire. Les éléments donnés par Brugeas (pages 24 et 26) laissent supposer que les évènements se situent au début du règne (1180-1223) de Philippe II Auguste (1165-1223). À quelques années près, l'action se passe donc à la même période que celle du "Roy des ribauds", sans qu'il y ait de personnages communs.

Avant de se lancer, le lecteur devra être conscient que "Tête de Chien" n'a rien à voir avec le naturalisme historique teinté de romantisme d'une saga comme "Les Tours de Bois-Maury" ; Hermann y étudiait l'archétype du chevalier sous tous les angles, propulsait son héros dans une quête presque mystique et proposait un texte travaillé de manière approfondie. Brugeas, lui, s'inspire largement de l'esprit "shōnen" pour nous livrer un Moyen Âge immédiatement assimilable et consommable. Aucun élément sociopolitique n'est poussé, bien que les rivalités entre les partisans du roi et les autres soient évoquées. Pas de référence à la spiritualité ou à l'église non plus. Aucun ingrédient surnaturel ou fantastique non plus, même de loin ; cette histoire est ancrée dans le réel. Brugeas ne sort pas son intrigue du microcosme de la chevalerie, en tout cas pas dans ce premier tome. Le ton est tous publics, ni sexe ni violence débridée ou exacerbée (verbale ou physique), aucune noirceur exagérée ; Brugeas a d'ailleurs souligné en interview qu'il n'y avait aucun mort dans son récit. Autant d'éléments par lesquels "Tête de Chien" se distingue de l'existant.

L'auteur développe son intrigue à partir de quelques concepts intéressants. Le premier est la nature et la personnalité de "Jehan", bien sûr. Il ne s'agit pas d'un secret de polichinelle et le petit groupe doit être vigilant à propos d'éventuelles indiscrétions, surtout de la part de Josselin. Les conséquences ne sont pas explicitées, mais Brugeas n'a pas à les détailler tant elles paraissent évidentes, car la jeune femme a tout à perdre. Une réelle épée de Damoclès flotte donc au-dessus du trio de compagnons, d'autant plus que chaque nouvelle rencontre représente un risque plus ou moins probable.

"Tête de Chien" se caractérise par une certaine richesse thématique. Brugeas questionne les valeurs de la chevalerie en examinant un côté moins connu du mythe. Il s'intéresse au rôle de l'argent et à la condition financière des chevaliers. Ici aussi, l'argent est le nerf de la guerre, même la fausse, c'est-à-dire celle des tournois. C'est une véritable économie, en quelque sorte, où l'adresse et le talent aux armes enrichissent les plus doués et appauvrissent les plus malheureux. L'un ne va pas sans l'autre, comme les vases communicants. Le chevalier vainqueur exigeant d'être payé par celui qu'il a vaincu ; c'est le principe de la rançon. Évidemment, certaines d'entre elles sont bien moins satisfaisantes que d'autres selon les facultés de négociation des vaincus, tandis que des arrangements peuvent parfois être discutés en coulisses. Un microcosme, donc, avec ses règles en surface, et ses jeux de pouvoir, ses magouilles et ses tierces parties dans l'ombre. Au fond, la défense de la veuve et de l'orphelin semble davantage un objectif idéalisé et sacré qu'une véritable possibilité de vivre selon le code.

Les personnages sont bien définis, avec des caractérisations claires - peut-être trop évidentes, d'ailleurs. L'introduction révèle que Josselin était destiné aux ordres monastiques ; il n'était donc pas l'aîné de sa famille. Le jeune chevalier est courageux et doué à l'épée, à défaut d'être lucide et clairvoyant. Sa naïveté est une faiblesse. Jehan (Jehanne ?), elle, a été éduquée par son père comme un garçon, c'est-à-dire comme un futur chevalier ; elle dissimule sa poitrine en la compressant sous un linge enroulé autour du torse. La petite cicatrice qui part de la lèvre supérieure de la jeune femme témoigne certainement d'une blessure à l'entraînement. Elle est assurément d'extraction noble ; son père désirait probablement un fils et l'a élevée comme tel, sans qu'elle en ait été perturbée ou qu'elle en éprouve une quelconque rancœur. Jehan veut être reconnue pour son adresse en premier lieu ; les lecteurs à la critique affûtée pourront taxer l'idée d'invraisemblable, bien que Brugeas se défende en expliquant que Jehan a suivi un entraînement intensif depuis ses sept ans et qu'elle compense son manque de puissance par sa rapidité. Jehan a un esprit particulièrement vif qui se caractérise par une bonne dose d'espièglerie ; sans courir après le même idéal, elle partage avec Josselin certaines valeurs. Paulin, l'écuyer, est un jeune garçon enthousiaste et futé qui n'hésite pas à prendre des risques et à se mettre en danger pour aider les deux chevaliers. Enfin, Oddard est plus inquiétant qu'il n'est véritablement méchant, ce qui est cohérent avec le ton de l'album.

La construction narrative de Brugeas repose sur le principe de la linéarité, bien que la structuration en chapitres, les confessions des personnages au début de ceux-ci et la division en deux, voire en trois fils narratifs empêchent l'ennui et les longueurs de s'instaurer. Le poids de la linéarité est également limité par la relative brièveté des scènes : la plus longue ne s'étend que sur huit planches.

Toulhoat évolue dans un registre réaliste. Il produit une partie graphique moderne, dynamique, enlevée et qui reflète son sens du mouvement et de la chorégraphie. C'est fluide et sans raideur, ça tourbillonne et c'est limpide ; tant mieux, parce que les scènes de combat exigent une lisibilité immédiate. Ses personnages sont aisément identifiables : le lecteur les mémorise dès qu'il les voit pour la première fois. Le dessinateur propose une belle diversité de visages et de corpulences. Port du heaume oblige, il doit accentuer l'expressivité des regards des compétiteurs. Chaque chapitre s'ouvre sur une introduction d'une page en bichromie, consacrée à un protagoniste seul qui donne libre cours au fond de ses pensées ; une bonne idée qui leur apporte de la profondeur. La densité de détail est raisonnable, mais il n'en faudrait pas beaucoup moins. L'artiste privilégie habilement l'efficacité à la quantité dès que cela a du sens en matière de productivité (il avait mentionné le budget comme une contrainte à contourner) ; cela peut se traduire par un rendu flouté ou une couche de couleur unie sans effet de texture sur les arrière-plans. Le trait de Toulhoat est propret et très consensuel ; il pourra rappeler l'influence du style des Studios Disney, ce qui vient renforcer la facette jeune public de "Tête de Chien". Cela pourra déplaire à certains ; les autres n'y prêteront pas forcément attention ou s'en accommoderont.

Ce premier tome - trois ont été planifiés - propose une intrigue plus complexe qu'il n'y paraît. Certains évènements sont prévisibles (notamment les affrontements du tournoi), mais dans l'ensemble la dynamique fonctionne. "Tête de Chien" s'adresse à un public jeune, dans le fond comme dans la forme ; les lecteurs qui cherchent une dimension épique, grandiose et sauvage en seront pour leurs frais.

AUTEURS :

Vincent Brugeas écrit ce scénario, dont la partie graphique (crayonnés et encrage) est signée par Ronan Toulhoat ; ces deux artistes sont associés de longue date. Ils ont de nombreuses œuvres à leur actif : "Block 109" (2010-2012), "Le Colosse noir", "Ira Dei", (2018-2021) "Cosaques" (toujours en cours à ce jour), ainsi que "Le Roy des ribauds" (idem) - entre autres. La mise en couleurs est composée par Yoann Guillo, qui avait lui aussi déjà travaillé avec Brugeas et Toulhoat (sur "Cosaques").

INFORMATIONS :

Sobrement intitulé "Livre I", cet album, publié en mai 2023 chez Glénat, est le premier tome "Tête de Chien", une série qui conte les aventures de deux jeunes chevaliers et d'un écuyer, pendant le dernier quart du XIIe siècle. C'est un ouvrage relié (dimensions 22,9 × 28,8 centimètres, avec une couverture cartonnée). Il contient précisément cent vingt-six planches (hors intercalaires, il y en a un au début de chaque chapitre), toutes en couleurs. Aucun bonus ne figure dans cette édition.


[Critique faite après lecture du premier tome.]

BLOG : BARBUZ

  • REDACTEUR
    - BARBUZ -
  •   HISTOIRE :
      PERSONNAGE :
      MISE EN PAGE :
      GRAPHISME :

  •   MOYENNE :
    3.25
    Note sur 5
  • Age de lecture : 13 ans et +
  • Editeur :
    DARGAUD
    Genre :
    AVENTURE
    CHEVALIER
    Type :
    BANDE DESSINEE
    Album :
    136 pages environs
  • LIENS ASSOCIEES :
     
     
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    CRITIQUE BD
    RONAN TOULHOAT